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Affaire LAMBERT et Cour Européenne des Droits de l'Homme
Victime d’un accident de la route en septembre 2008, Vincent Lambert, aujourd’hui âgé de 38 ans, tétraplégique, plongé dans un état végétatif, est alimenté par une sonde, sans espoir d’amélioration. Les membres de sa famille se déchirent par procédures judiciaires interposées sur la reconnaissance ou non d’un droit d’interrompre tout traitement de maintien artificiel en vie. Le 5 juin dernier, réunie en formation solennelle, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a rendu, par 12 voix contre 5, une décision majeure qui va constituer le point de référence juridique sur la fin de vie en Europe appelé à concerner 47 Etats de l’Irlande à l’Azerbaïdjan tout en annonçant une influence sur l’examen, en France, par le Sénat, les 16 et 17 juin, de la proposition de loi Claeys-Léonetti créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie déjà adoptée en mars dernier par l’Assemblée Nationale par 436 voix contre 34.
Le 11 janvier 2014, le médecin en charge de Vincent Lambert, au Centre Hospitalier Universitaire de Reims, avait pris la décision de mettre fin à l’alimentation et à l’hydratation artificielles du patient en raison de son état.
Saisi par la voie du référé-liberté, le Tribunal Administratif de Châlons-en-Champagne, avait suspendu la mise en œuvre de cette décision par le CHU.
En appel, le Conseil d’Etat, le 14 février 2014, a ordonné une expertise confiée à 3 médecins spécialistes en neurosciences et sollicité l’avis de l’Académie de médecine, du Comité national d’éthique et de l’Ordre national des médecins.
Par un arrêt du 24 juin 2014, l’assemblée du contentieux du Conseil d’Etat a jugé légale la décision prise le 11 janvier 2014 par le médecin de Vincent Lambert de mettre fin à son traitement.
Cet arrêt s’inscrivait dans la ligne tracée par la loi Léonetti du 22 avril 2005 qui est venue définir le cadre légal dans lequel un médecin peut prendre une décision de limiter ou d’arrêter un traitement qui traduirait une obstination déraisonnable.
Les juges du Palais Royal ont forgé leur raisonnement sur une triple base : l’existence d’une expertise médicale, l’effectivité d’une décision médicale au caractère collégial, le fait que le patient avait fait savoir qu’en pareille situation il aurait souhaité l’arrêt des soins.
La Cour Européenne entérine
Saisie par les parents de Vincent Lambert, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) devait trancher entre reconnaître la primauté de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme -ratifiée par la France en 1974- ou celle de l’article 8.
« Droit de toute personne à la vie » ou « droit au respect de la vie privée et familiale » donc droit pour tout individu à une autonomie personnelle pour diriger sa vie ou sa mort.
La Cour Européenne va entériner la procédure française et placer le consentement du patient au cœur de la décision aux termes de 2 considérants-clé :
- « il n’y aurait pas violation de l’article 2 régissant le droit à la vie en cas de mise en œuvre de la décision du Conseil d’Etat autorisant l’arrêt des soins » ;
- « les dispositions de la loi du 22 avril 2005, telles qu’interprétées par le Conseil d’Etat, constituent un cadre législatif suffisamment clair pour encadrer de façon précise la décision du médecin ».
Effectivement, dans son arrêt d’assemblée du 24 juin 2014, le Conseil d’Etat avait explicité les conditions imposées par la loi pour arrêter un traitement : prise en compte par le médecin des critères médicaux et non médicaux en fonction de la situation particulière de chaque patient, procédure collégiale, association de la famille et des proches, attention particulière accordée à la volonté du patient.
Commentant devant la presse cet arrêt, M. Jean-Marc Sauvé, Vice-Président du Conseil d’Etat, devait faire observer : « la procédure collégiale préalable à la décision d’arrêt des traitements a été régulière. Sur le plan médical, les conclusions claires et unanimes du collège d’experts montrent que le patient est atteint de lésions cérébrales très sévères et irréversibles. Il se trouve désormais dans un état végétatif avec un mauvais pronostic clinique. M. Lambert avait, avant son accident, clairement et à plusieurs reprises, exprimé le souhait de ne pas être artificiellement maintenu en vie, au cas où il se trouverait dans un état de grande dépendance. L’ensemble des informations recueillies a par conséquent conduit le Conseil d’Etat à estimer que l’arrêt des traitements dans une telle situation correspondait à sa volonté ».
On ne manquera pas de relever que le Conseil d’Etat a entendu préciser -avec clarté valant mise en garde- que chaque cas particulier devait faire l’objet, sur la base des éléments médicaux et non médicaux le concernant, d’une appréciation individuelle en fonction de la singularité de la situation du patient.
Dans son commentaire sur la portée de la décision, l’instance administrative suprême a indiqué : « cette décision concerne exclusivement la situation de M. Vincent Lambert. La circonstance qu’une personne soit dans un état irréversible d’inconscience ou, à plus forte raison, de perte d’autonomie la rendant tributaire d’un mode artificiel d’alimentation et d’hydratation ne saurait caractériser, par elle-même, une situation dans laquelle la poursuite de ce traitement apparaîtrait injustifiée au nom du refus de l’obstination déraisonnable ».
Ainsi donc, les risques de dérapages -que certains ont pu craindre- se trouvent parfaitement endigués dans l’ordonnancement juridique français.
La Cour Européenne, le 5 juin, quant à elle, a tenu, outre à entériner la posture motivée du Conseil d’Etat, à marteler le rôle primordial du patient dans la prise de décision. A dessein, le mot « consentement » est cité pas moins de 15 fois dans l’arrêt de la juridiction de Strasbourg. Rien de surprenant dès lors que précisément la dignité et la liberté de l’homme sont reconnues « comme l’essence même de la Convention ».
Le cadre qui va être donné au droit reconnu à la sédation profonde et continue ainsi que la modification opportune du statut des directives anticipées grâce à la future loi sur la fin de vie en cours d’examen au Parlement vont faciliter la mise en place d’un dispositif contrôlé d’équilibre, de mesure et d’apaisement.
Chacun reste parfaitement conscient qu’à travers ce thème délicat de société, l’éthique si elle est un combat de valeurs, n’est jamais le combat du bien contre le mal mais le combat d’un bien… contre un bien !
Michel Poignard
Docteur en Droit
Spécialiste en Droit public et Droit de la santé